Créer son entreprise après 50 ans : liberté conquise ou risque assumé ? (Vidéo)
- Mintaka
- 11 juil.
- 5 min de lecture
Créer son entreprise après 50 ans, un pari osé ? De plus en plus de seniors franchissent le pas. Réunis à Clermont-Ferrand lors d’un Petit Déjeuner de la Création, experts et porteurs de projets ont partagé leurs convictions, leurs doutes, et les clés d’une réussite à contre-courant.

À 50 ans, l’entrepreneuriat comme nouvelle vie
Ils ont 45, 50 60 ans... ou plus. Ils ne sont pas venus vendre, ni prospecter. Ils sont venus comprendre. Comprendre ce que signifie créer une entreprise à un âge où d'autres pensent à lever le pied. Car ici, on ne parle pas de seconde chance, mais de second souffle.
Depuis leur création il y a plus de vingt ans par Gilles Flichy et Frédéric Coureau, les Petits Déjeuners de la Création sont devenus une référence en Auvergne pour les futurs entrepreneurs. Avec plus de 4 600 participants cumulés, ces rencontres décontractées, mais exigeantes, rassemblent des experts, des coachs, des banquiers, des cadres en transition. Ce matin-là, c’est l’entrepreneuriat senior qui est au centre des échanges.
« Ce n’est pas un phénomène marginal. C’est une tendance lourde », rappelle d’emblée Frédéric Coureau, journaliste et cofondateur du cycle et du programme Life is too short.
Les chiffres lui donnent raison. Selon l’INSEE, près d’un quart des créateurs d’entreprise ont plus de 50 ans. Mais ce choix tardif est rarement un simple projet professionnel. Il prend racine dans des trajectoires de vie, des désirs d’émancipation, parfois des accidents de parcours.

Créer par envie, pas par défaut
Claude Vincent connaît bien le monde de l’entreprise. Fondateur du groupe RH Partners — un acteur reconnu de l’accompagnement RH — et ancien président du MEDEF Puy-de-Dôme, il avertit contre les créations « réflexes », décidées dans l’urgence après une rupture professionnelle :
« Créer parce qu’on n’a plus de boulot, c’est très risqué. Il faut que le projet soit désiré, pas subi. »
Pour autant, il n’écarte pas la pertinence de la démarche :
« Bien accompagné, un projet peut réussir quel que soit l’âge. Mais il faut pouvoir prendre des décisions seul, tous les jours. »
La création, selon lui, est d’abord une posture mentale.
De l’appétence plus que de la compétence
À ses côtés, Gilles Flichy, président de l’Institut de la Vocation, propose une autre lecture du virage entrepreneurial des seniors :
« À 45 ou 55 ans, on ne crée pas pour faire carrière. On crée pour accomplir un pan de soi resté en jachère. Ce n’est pas un bilan de compétences qu’il faut faire, mais un bilan d’appétence. »
Un changement de paradigme qui oblige à désapprendre les automatismes du salariat.
« Il faut passer d’une logique de conformité à une logique d’invention », poursuit-il.
Un savoir-faire ne fait pas un projet
Savoir faire, oui. Savoir vendre, pas toujours. C’est le rappel incisif de Jérôme Dupic, dirigeant de Deezalite Conseil, cabinet spécialisé dans les architectures financières :
« Ce n’est pas parce qu’on maîtrise un métier qu’on sait en faire une entreprise. Le nerf de la guerre, c’est le développement commercial. »
Selon lui, tout projet devrait partir des besoins personnels, pas des compétences disponibles. Une approche à rebours du discours habituel :
« Tu veux te payer 3 000 € par mois ? Très bien. Alors il te faut 6 clients à tel tarif, et 50 prospects qualifiés. Est-ce que tu es prêt à les chercher ? »
Reprendre, plutôt que tout inventer
Créer n’est pas toujours la voie la plus adaptée. Pour Romain Siso, expert innovation au Crédit Agricole Centre France, la reprise d’entreprise est souvent plus pertinente pour les profils expérimentés :
« Reprendre, c’est souvent plus sûr, plus structuré. Et les seniors, avec leur parcours, leur réseau, ont les atouts pour ça. »
Encore faut-il savoir où chercher. Chambres consulaires, fédérations, mais aussi démarches plus informelles peuvent ouvrir des portes insoupçonnées :
« Rencontrez les dirigeants de 60 ans dans votre secteur. Beaucoup ne savent pas encore qu’ils sont prêts à transmettre. »

Financer sans tout perdre
Peut-on encore prétendre à un prêt à 55 ans ? La réponse est claire pour Romain Siso :
« L’âge n’est pas un frein. Ce qui compte, c’est la solidité du projet et la capacité du créateur à le défendre. »
L’apport personnel reste recommandé — entre 20 et 30 % — mais des solutions existent : prêt d’honneur, garanties, partenariats. À condition d’être bien accompagné.
Se former, se couvrir, se sécuriser
Créer ne signifie pas tout quitter sans filet. Christelle Chaudron, de Transitions Pro Auvergne-Rhône-Alpes, rappelle l’existence du Projet de Transition Professionnelle, qui permet de suivre une formation tout en conservant son salaire. Autre levier : le dispositif démission-reconversion, qui ouvre droit au chômage pour ceux qui quittent volontairement leur poste afin de créer.
Du côté de l’APEC, Floriane Hospital insiste sur le bon ajustement entre le projet et la réalité du créateur :
« Il ne s’agit pas de former à tout. Mais d’assurer l’adéquation entre motivation, contraintes personnelles, valeurs et modèle économique. »
Solitude, posture, résilience
L’un des mots les plus souvent prononcés ce matin-là : solitude. Claude Vincent s’en souvient avec franchise :
« Le premier mois, je n’ai rien pu faire. J’étais seul chez moi, paralysé. Heureusement, j’ai croisé quelqu’un qui venait de créer aussi. On a loué un bureau ensemble. Ça nous a sauvés. »
Un témoignage qui résonne fort dans l’auditoire. Car derrière la liberté attendue se cache souvent une traversée du désert.
Yann Denèfle, ancien conseiller chez France Travail, devenu accompagnateur indépendant, détaille les solutions disponibles pour ne pas affronter ce parcours seul.
Les porteurs de projet peuvent bénéficier d’un accompagnement individuel sur mesure, combiné à la possibilité de cumuler les allocations chômage avec les premiers revenus de l’activité.
Le dispositif démission-reconversion permet aussi de sécuriser une transition en accédant à l’assurance chômage.
Enfin, France Travail collabore avec des réseaux spécialisés (Réseau Entreprendre, BGE, chambres consulaires…) pour renforcer l’ingénierie du projet, du business model jusqu’au financement.
Inventer de nouveaux binômes
Créer à 50 ans, c’est aussi repenser les rapports intergénérationnels. Gilles Flichy pose la question en forme de défi :
« Pourquoi ne pas envisager la transmission intergénérationnelle dans la création d’entreprise ? Un senior avec l’expérience, un jeune avec les outils : ce sont des binômes puissants. »

Ni âge d’or, ni âge de raison : un âge de transformation
Tous les intervenants s’accordent sur un point : ce n’est pas l’âge qui fait le projet, mais la préparation, l’accompagnement, et la capacité à se réinventer.
La conclusion revient à Frédéric Coureau :
« La vraie question n’est pas : est-ce qu’on peut créer après 50 ans ? Mais : comment crée-t-on avec ce qu’on est devenu, ce qu’on veut transmettre, et ce qu’on est prêt à risquer ? »
Commentaires